Football / La nouvelle réglementation du Third Party Ownership (TPO)

La tierce-propriété (ou third party ownership en anglais - TPO) inquiète une partie des instances du football mondial depuis plusieurs années. 

Cette technique juridico-financière originale visant, pour un club, à co-financer le recrutement d'un joueur, vient d'être réglementée par la FIFA. Elle est utilisé depuis plus de deux décennies dans plusieurs pays d'Amérique latine (en particulier au Brésil et en Argentine), mais a attiré l'attention en Europe à la fin des années 2000 suite au transfert de deux joueurs argentins (Carlos Tevez et Javier Mascherano) dans un club de Premier League anglaise (West Ham United) en provenance d'un club brésilien (Sport Club Corinthians).

Ce transfert avait amené l'instance dirigeante de la Premier League à durcir sa réglementation en matière de TPO (elle y est aujourd'hui interdite) et avait entraîné une sanction financière à l'encontre du club londonien de West Ham.

Qu'était-il reproché aux dirigeants du club anglais ? D'avoir recruté les deux joueurs argentins alors que ces derniers étaient sujets à un montage de type TPO. 

Mais qu'est-ce que le TPO ?

Prenons un club A, désireux de recruter un joueur évoluant dans un club B.

Le club B souhaite percevoir une indemnité s'élevant à 10, mais le club A ne désire investir que 5.

Le club A va alors se rapprocher d'un tiers investisseur ("tiers" car autre que le club "acheteur" ou que le club "vendeur" ; une société ou un fonds d'investissement, par exemple) qui va lui apporter les 5 manquants afin d'acquérir le joueur visé.

En rémunération de son investissement, le tiers investisseur détiendra contractuellement une portion des "droits économiques" (en théorie dans notre exemple 50%) du joueur transféré.

La notion de "droits économiques" est rarement explicitée lorsqu'elle est évoquée par les commentateurs du TPO. Elle peut recouvrir divers cas de figure, mais il s'agit en général du droit, pour le tiers investisseur, de percevoir une portion de la prochaine indemnité de transfert versée pour recruter le joueur.

Exemple (les chiffres ne sont pas réels) :

Admettons que Corinthians recrute le jeune Carlos Tevez évalué par son club, Boca Juniors, à 2 millions d'euros.

Les Corinthians lève un million d'euros auprès d'un investisseur tiers et ajoute un million d'euros sur leurs propres fonds.

Deux ans plus tard, West Ham recrute Carlos Tevez, alors joueur des Corinthians, contre une indemnité de huit millions d'euros.

Quatre millions d'euros iront dans les caisses des Corinthians, tandis que les quatre autres seront versés au tiers investisseur.

En ce qui concerne le transfert de Carlos Tevez toutefois, les choses ne se sont pas passées ainsi. En effet, le TPO n'est pas interdit au Brésil et en Argentine et, si le transfert avait été réalisé comme décrit ci-dessus, la Premier League ne serait vraisemblablement pas intervenue. Ce qui a entraîné la sanction du club anglais est le fait que l'investisseur tiers, au lieu de toucher les X millions lui revenant du fait du transfert, a décidé de conserver les droits économiques acquis auprès des Corinthians. Ainsi, West Ham n'a pas eu à verser la totalité de l'indemnité de transfert, mais en conséquence, ne détenait pas l'intégralité des "droits économiques" du joueur. Situation qui n'est pas autorisée en Premier League.

Ce type de montage est aujourd'hui couramment utilisé en Europe de l'Est et dans la péninsule ibérique. Selon un rapport du cabinet d'audit KPMG, publié en août, entre 27 et 36% des joueurs évoluant en Primeira Liga (première division portugaise) seraient la "propriété d'investisseurs tiers". La tendance serait également en forte hausse dans les championnats professionnels espagnols, en particulier chez les clubs en difficultés financières. Toujours selon le même rapport, 1.100 footballeurs professionnels évoluant en Europe seraient concernés.  

Pour ou contre ?

L'an dernier, la FIFA - fortement encouragée par l'UEFA - s'est saisi du sujet afin d'en envisager sa réglementation. L'un des principaux arguments en faveur d'une interdiction du TPO est lié à ses effets potentiels sur l'intégrité des compétitions. En effet, il existe d'ores-et-déjà des cas où des clubs (concurrents, par essence) comptent dans leurs effectifs respectifs des joueurs dont les droits appartiennent au même tiers investisseur. Si les supporters commençaient à mettre en doute l'authenticité des résultats d'une compétition, c'est tout l'édifice du football professionnel mondial qui risquerait de s'effondrer. Le modèle économique du sport professionnel a en effet pour pierre angulaire l'aléa sportif et la confiance des spectateurs dans l'authenticité de la lutte entre les concurrents (athlètes ou équipes).

Un deuxième argument prépondérant concerne les effets secondaires du TPO sur les clubs et sur les joueurs. L'objectif de tout investisseur tiers est généralement de maximiser son profit à court ou moyen terme. A cette fin, il pourrait inciter le club sportif - par divers moyens - à vendre rapidement certains de ses joueurs, généralement les plus prometteurs, ou du moins à décider du timing relatif au départ d'un joueur. Le sportif, bien que tiers à l'accord entre le tiers investisseur et le club, risque également de subir les conséquences de cette recherche de profit à court terme.

Enfin, à l'heure du Fair Play Financier (FPF), ce type de montages ennuie particulièrement l'UEFA : le TPO consiste précisément à faire appel à un financement externe pour recruter des joueurs que le club ne pourrait autrement faire venir. Cette logique est contradictoire avec l'objectif principal du FPF qui vise à obliger les clubs à financer leur recrutement sur leurs ressources propres.

Plusieurs acteurs du football critiquent ouvertement la décision de la FIFA de réglementer le TPO, à commencer par le Président du Football Club de Porto (dont le modèle économique - et la réussite sportive - s'appuie largement sur cette technique). Plusieurs représentants du football espagnol sont également contre la réforme. Des recours auraient été engagés devant la Cour de justice de l'Union européenne pour que le nouvel article du Règlement FIFA soit jugé comme une restriction à la liberté du commerce et comme une barrière à l'entrée dans le secteur du football professionnel.

Ces opposants au texte rappelle que l'investissement profite au tiers investisseur mais également au club qui se voit offrir la possibilité de recruter des joueurs dépassant leurs moyens, en partageant la charge financière (et partant le risque) avec le tiers investisseur.

Le corollaire de cet argument serait qu'elle permet aux clubs dont les ressources financières sont moindres, de compter dans leurs effectifs des sportifs très performants ou sur le point de l'être. Selon eux, interdire le TPO aura pour conséquence de permettre aux clubs riches de s'enrichir toujours davantage et privera les clubs moins fortunés d'un levier financier leur permettant de concurrencer les premiers.  

Que prévoit le nouveau texte FIFA ?

En 2008, suite à l'affaire Tevez-Mascherano, la FIFA s'est sentie contrainte de revoir sa copie et a décidé d'adopter l'article 18 bis du Règlement sur le Statut et le Transfert de Joueurs (RSTJ) ci-après :

" Aucun club ne peut signer de contrat permettant au(x) club(s) adverse(s), et vice versa, ou à une quelconque autre partie ou à des tiers d'acquérir dans le cadre de travail ou de transferts la capacité d'influer sur l'indépendance ou la politique du club ou encore sur les performances de ses équipes. "

Cet article intitulé " Influence d'une tierce partie sur des clubs ", était trop vague pour s'appliquer avec certitude à la diversité de schémas de TPO existant aujourd'hui.

Au printemps 2015, la FIFA a donc ajouté un article 18 ter au RSTJ, intitulé " Propriété des droits économiques des joueurs ". Cet article, qui vise spécifiquement la tierce-propriété telle qu'utilisée dans le cas Tevez, interdit à toute entité autre qu'un club de football de se voir octroyer tout bénéfice économique résultant du transfert d'un joueur :

" Aucun club ou joueur ne peut signer d'accord avec un tiers permettant à celui-ci de pouvoir prétendre, en partie ou en intégralité, à une indemnité payable en relation avec le futur transfert d'un joueur, d'un club vers autre club, ou de se voir attribuer tout droit en relation avec un transfert ou une indemnité de transfert futur(e). "


L'interdiction est entrée en vigueur le 1er mai 2015. Des dispositions transitoires ont été prévues pour les accords qui auraient été conclus avant cette date. 

Plusieurs fédérations nationales n'ont pas attendu la dernière réforme de la FIFA pour prohiber la pratique des TPO.


C'est le cas en Pologne, en Angleterre et en France. Ainsi, tout club membre de l'une de ces ligues et désirant recruter un joueur dont les "droit économiques" sont - partiellement ou intégralement - détenus par un investisseur tiers devra prouver à sa ligue qu'il a acquis l'intégralité des " droits économiques " du joueur dans le cadre du transfert.

La réglementation française bientôt remaniée ?

En France, le Règlement administratif de la Ligue Professionnelle de Football  traite des TPO dans sa partie relative aux joueurs (article 221). Ainsi, un club professionnel français ne peut conclure avec une personne physique ou une personne morale, autre qu'un club de football, un contrat ayant pour objet la cession ou l'acquisition de droits patrimoniaux résultant de la fixation de diverses indemnités auxquelles il peut prétendre lors de la mutation d'un de ses joueurs.

Une circulaire FIFA en date du 29 décembre 2014 impose la transposition des nouveaux articles 18 bis et 18 ter du RSTJ dans les règlements de la LFP. La LFP devrait modifier son règlement administratif prochainement.

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